Voir le texte «A Cautious Prometheus? A Few Steps Toward a Philosophy of Design (with Special Attention to Peter Sloterdijk)» de Bruno Latour.
Êtes-vous à l’extérieur ? Il n’y a pas d’extérieur : l’extérieur est un autre intérieur avec un autre contrôle climatique, un autre thermostat, un autre système de climatisation. ― Bruno Latour
Bruno Latour est professeur émérite associé au médialab de Sciences Po. Après une agrégation de philosophie, Bruno Latour s’est formé à l’anthropologie en Côte d’Ivoire. Il a longtemps enseigné dans des écoles d’ingénieur, à savoir le CNAM et l’École des Mines où il avait rejoint le Centre de sociologie de l’innovation en 1982. De 2006 à 2017 il a été professeur à Sciences Po Paris dont il a dirigé la recherche de 2007 à 2012. Il continue d’enseigner dans le programme expérimental arts et politiques (SPEAP) de Sciences Po qu’il a fondé avec l’historienne et spécialiste des relations arts/sciences Valérie Pihet en 2012.
Bruno Latour présente cet article dans le cadre de la conférence Networks of Design, organisée par la Design History Society (DHS) à l’University College Falmouth, Cornwall, en Angleterre, en 2008. Invitant à une réflexion philosophique et anthropologique sur le design, il expose la division moderne de notre monde en espaces séparés – nature et société, objet et sujet ou intérieur et extérieur – en tant que production artificielle et illusionniste. Le changement anthropique des climats nous rappelle que ces dualismes sont en fait des fictions – que « nous n'avons jamais été modernes ». Bruno Latour souligne une réalité où le storytelling d’émancipation, de progrès et de maîtrise est en même temps un récit d’attachement, d’enchevêtrement et de dépendance. Les ‘matters of fact’ sont (et ont toujours été) des ‘matters of concern’. En introduisant la pensée du philosophe Peter Sloterdijk (par ailleurs recteur de la Hochschule für Gestaltung de Karlsruhe entre 2001 et 2015), Latour rappelle que ces idéologies modernes (dissimulant des collaborations humains/humains, humains/non-humains ou non-humains/non-humains complexes et interconnectées) se concrétisent via le design et le style. La traduction architecturale typique de la modernité sera ainsi le Dôme – donnant corps à un utopique contrôle du climat sans expliquer les supports nécessaires pour que celui-ci soit durablement viable. En insistant sur la propension du design à (re)concevoir des modes, il invite la discipline à créer de nouveaux outils afin de reconnecter (‘to draw things together’) ce que les designers de la modernité ont soustrait à nos regards. Au-delà de la démarche critique (théorique), il faut aujourd’hui designer des conceptions alternatives en pensant des artefacts en tant que ‘choses’ profondément politiques afin de matérialiser des assemblages de questions contradictoires.
En tant que designer travaillant sur les images (perçues comme des réseaux techniques) qui organisent les relations entre l’Homme et son environnement, ce texte me conduit à poser les questions suivantes : à quoi ressemblerait un design qui ne matérialiserait pas, à la manière du « good » design (moderne), l’émancipation de l’homme par rapport à son environnement, mais qui illustrerait plutôt un « deep design » formalisant des relations profondes ? À quoi ressemblerait un design qui permettrait de comprendre les couches enveloppées, enchevêtrées, de nos équipements de survie, faites de collaborations humaines SLASH non humaines ? À quoi ressemblerait un design qui représenterait l’intérieur et l’extérieur non pas comme des sphères séparées mais comme des sphères connectées ?